Bali – Peace, Love and Nasi goreng

Parti un peu plus tôt de Papouasie pour retrouver Maroussia, j’arrivai donc seul à Bali, île au centre de l’archipel indonésien, réputée pour ses spots de surf, son art de vivre et ses montagnes tropicales abritant mille et une cascades. Cette fois, ce fut par les airs et non par la mer que je touchai cette nouvelle terre. J’arrivai 36h avant Maroussia, ce qui me donna le temps nécessaire pour m’adapter au style de vie des expatriés vivant leur rêve indonésien. Surf le matin, restaurant vegan le midi, découverte des environs l’après-midi et fête le soir. La vie à Bali ne coûte presque rien pour nous occidentaux. Un scooter se loue 3 euros par jour, un restaurant ne coute guère plus cher, et le surf est gratuit. On comprend pourquoi tant d’européens et d’australiens se sont exilés dans ce paradis terrestre où la vie semble facile et agréable.

C’est d’ailleurs en scooter que je vais chercher Maroussia à l’aéroport, comme le million d’autochtones se mouvant sur cette grosse île tels des globules rouges dans un infernal réseau veineux de petites routes en mauvais état. Nous avons de la chance, la pluie nous épargne et le voyage se fait au sec. Heureusement car nous sommes en pleine saison des pluies et à cette époque, on a vite fait de se faire submerger par les flots. Le moindre trajet en deux roues peut alors devenir un véritable enfer.

Maroussia est surprise de me voir à l’aise dans ce dédale de ruelles nocturnes et je tâche de l’impressionner avec les quelques expressions locales apprises plus tôt dans la journée. Mais tout cela se dilue rapidement dans l’excitation des retrouvailles et nous oublions même, pour les heures restantes de la nuit, où nous sommes.

Nous logeons dans un petit hôtel de Canggu, nouveau quartier à la mode du sud de Bali. Quatre ans plus tôt, cette zone n’était que rizières et forêts, mais le tourisme, toujours plus pressant, accélère de façon considérable le développement de l’île et les nouvelles constructions poussent à la vitesse de l’éclair. Une fois encore, le prix des chambres défie toute concurrence et pour le prix d’un lit dans un dortoir miteux d’une vieille auberge française, nous dormons dans un petit hôtel aux ambiances balinaises, possédant tout le luxe d’un hôtel quatre étoiles. Dans une architecture aérée, mêlant pierre blanche et diverses essences de bois, une épaisse végétation de fleurs et de plantes tropicales nous donne l’impression d’être dans le jardin d’Eden. Les balinais ont une véritable fibre artistique et travaillent merveilleusement bien le bois. Aussi, chaque porte et chaque fenêtre est joliment peinte et sculptée. Le dépaysement est total et l’accueil des balinais des plus plaisants.

Nous décidons de ne pas rester trop longtemps dans le tumulte incessant de la ville et louons une voiture pour explorer l’intérieur de l’ile. Un ami propose alors de nous héberger quelques jours dans un lieu hors du temps, au milieu des montagnes de Jati Luwih. Complètement ouverte sur la jungle, la maison de Wawan nous offre une communion parfaite avec la nature. Nous nous levons très tôt le matin pour contempler le lever du soleil, spectaculaire depuis le haut des montagnes. Puis nous faisons la récolte du thé avant d’avaler un bon nasi goreng, plat typique indonésien à base de riz frit. Nous partons ensuite à la découverte des rizières, des cascades cachées dans la forêt et des temples hindous.  La vie est douce ici et nous aurions pu y rester un mois entier. Mais nous décidons malgré tout de continuer notre route pour rejoindre le nord ouest de Bali. Nous effectuons une belle plongée sous marine dérivante sur les récifs de Menjangan, avant de traverser l’étroit chenal qui nous sépare de l’île voisine, Java.

Ayant entendu parler du volcan Ijen, toujours en activité, et réputé pour ses porteurs de souffre travaillant dans des conditions extrêmes, nous décidons d’en faire l’ascension et si possible, d’en descendre le cratère. Nous faisons halte dans un petit village isolé, au pied du volcan, où vivent, pour la plupart, des familles de porteurs de souffre. Leur accueil est chaleureux et nous nous prenons vite d’affection pour ces indonésiens vivant au chevet du volcan. Leurs récits nous pincent le coeur. Chaque jour, et dans des conditions déplorables, ces maigres hommes descendent dans le cratère pour en remonter près de 80kg de souffre, à la seule force des bras et des jambes. Chaque voyage représente environ 15 km d’ascension puis de descente. Le faire sans rien porter est déjà une belle épreuve physique. Avec 80kg, répartis dans deux paniers, reliés part une natte en bambou que l’on pose sur son épaule, cela devient un défi presque surhumain. Depuis peu, la compagnie chinoise exploitant le souffre extrait, fournit à ses travailleurs des masques leur permettant de se protéger des échappements de gaz sulfurisé. Mais les habitudes sont rudes et après des décennies à travailler sans, les courageux porteurs continuent de s’empoisonner en respirant cet air infâme.

Notre expérience sur le volcan sera à l’image de ces conditions extrêmes. Même munis de masques à gaz, de bonnes chaussures, de réserves d’eau et de lampes frontales, nous subirons durement cet environnement hostile. Nous décidons de grimper en milieu de nuit pour tenter d’y voir les fameuses flammes bleues provoquées par les dégagements gazeux. Une grosse mousson ne nous lâchera pas de toute l’ascension. La fumée dégagée par le cratère est telle que nous la ressentons bien avant d’atteindre le sommet. L’odeur est nauséabonde et nos yeux nous piquent terriblement. Malgré des conditions vraiment difficiles, nous décidons tout de même de rejoindre le fond du cratère. L’étroit chemin pour descendre est escarpé et pas du tout sécurisé. Des torrents de pluie rendent la terre glissante et nous devons progresser pas à pas pour ne pas tomber dans le précipice. L’intensité de la pluie est telle que nos pieds disparaissent sous l’eau qui court jusqu’au fond du cratère. Parmi les autres personnes qui se pressent pour descendre tant bien que mal, nous croisons quelques porteurs de souffre, indifférents aux conditions qui nous accablent. Ils portent de mauvaises chaussures, sont peu habillés et rarement équipés d’un masque, sinon d’un foulard leur couvrant le visage. Ils nous donnent l’impression de grimper avec facilité. Au milieu du parcours, je tombe sur un chargement de souffre abandonné. Son porteur l’a surement laissé là pour accompagner des touristes en bas du cratère, comme cela se fait souvent. C’est un bon moyen pour eux de doubler leur paie quotidienne par un simple aller-retour, léger comme l’air. J’en profite alors pour essayer de le soulever. Ma surprise est à la hauteur de la folie de cette entreprise. Au bout de quelques secondes, mon épaule me brûle, écrasée sous le poids du minerai jaune. Il me parait impensable de gravir cette pente glissante sur une telle distance et avec une telle charge sur le dos. Je repose le chargement, bouleversé d’imaginer les conditions de travail que subissent ces pauvres gens, quotidiennement, parfois pendant plus de 20 ans. Un peu plus bas, un porteur propose de nous accompagner. Nous sommes heureux de pouvoir améliorer son ordinaire et acceptons. Il prend alors Maroussia par le bras et nous mène au fond du cratère. Il nous guidera jusqu’au flammes bleues et ira même nous chercher quelques morceaux de souffre que je garde encore, en souvenir de ces titans au maigre squelette, risquant leur vie tous les jours pour nourrir leur famille.

Après cet épisode intense en émotions, nous décidons de revenir sur Bali pour continuer notre découverte de l’île avant de retrouver Nicolas et Thomas qui doivent arriver quelques jours plus tard avec Williwaw. Nous traversons l’ile dans sa largeur et sommes effarés du traffic et de la façon de conduire des indonésiens. À plusieurs reprises, nous évitons de justesse l’accident. Il n’y a que très peu de feux de signalisation ici, et c’est à celui qui s’imposera. Le nombre incalculable de scooters rend la conduite délicate et il faut être en alerte à chaque instant. Conduire à Bali est plus qu’un art, c’est un sport extrême. Le trajet dure plus de 6h et nous arrivons exténués à Ubud.

Nous n’avons que deux jours pour profiter de cette petite ville, certes très touristique mais pleine de charme, car il nous faut aller à la rencontre de Jeroen, un français d’origine hollandaise, implanté à Bali depuis quelques années, et qui vend des systèmes de filtration d’eau. De temps à autre, il effectue des actions sociales en faisant don de quelques filtres à des communautés dans le besoin. Il connait bien Bali et les zones qui manquent d’eau potable. Avec Maroussia, nous lui présentons Sail for Water et proposons de faire une action commune. Il accepte avec joie de nous aider. Le premier contact est donc établi et nous devons nous revoir une fois les garçons arrivés.

Grâce à la gentillesse d’une amie indonésienne, nous passons nos dernières 48h dans une très belle petite maison, nichée dans les falaises d’Uluwatu. Nous avons l’impression de ne faire qu’un avec la roche. Nous surplombons la plage de quelques mètres, juste ce qu’il faut pour que le ressac de l’océan ne vienne arracher les fondations de ce nid paradisiaque. Nous pourrions rester vivre là éternellement tant le cadre de cette maison est idyllique. C’est l’un de nos plus beaux souvenirs de Bali.

Arrivés entre temps, Thomas et Nicolas ont déjà amarré Williwaw dans la poubelle aquatique qui sert de marina, à quelques kilomètres de l’aéroport. Après quinze jours de mer, ils sont heureux d’être accueillis chez Marie et François, un couple d’amis architectes nous ayant mis sur la piste de Jeroen. Nous nous retrouvons pour le dernier soir de Maroussia dans un bar branché aux ambiances bohémiennes. Je suis heureux de les revoir mais ces retrouvailles sont un peu gâchées par le départ tant redouté. En milieu de soirée, nous les quittons pour aller à l’aéroport. Tout va très vite, et en à peine une heure, nous nous retrouvons de nouveau séparés, jusqu’à la prochaine fois.

Les jours suivants, nous travaillons sur la préparation de la mission, conjointement avec Jeroen. D’après lui, il nous faut viser la partie Est de Bali, zone la plus touchée par l’eau insalubre. Puisqu’il nous faut choisir une communauté parmi les nombreux villages de cette région, Jeroen utilise ses contacts pour proposer à différents chefs de village la centaine de filtres que nous avons prévu.

Dans le même temps, notre soeur est arrivée avec plusieurs de nos amis qui ont décidé de venir passer leurs vacances à Bali. Très enthousiaste à l’idée de participer au projet de ses frères, Virginie fait désormais partie de l’équipe pour la mission qui aura lieu quelques jours plus tard.

Mais il nous faut encore récupérer les filtres qui doivent arriver par avion et trouver la centaine de seaux correspondant. Après quelques aller retour en scooter, les seaux sont rapidement trouvés. Nous filons à l’aéroport dès la réception par mail de l’avis de dépôt en douane. Pas de soucis pour faire rentrer la marchandise dans le pays, nous annoncent les douaniers, à condition de s’acquitter d’une taxe d’un montant équivalent à 25% de la valeur totale. Nous sommes effarés, mais il faut bien payer pour que la mission puisse avoir lieu.

Le lendemain, à l’aube, nous partons retrouver Jeroen qui doit nous conduire jusqu’au village choisi. Nous faisons plus de trois heures de route pour atteindre un gros hameau sur les hauteurs de Bali. Nous sommes étonnés quand Jeroen nous annonce que nous sommes arrivés. Qu’allons-nous pouvoir faire dans un si gros village avec seulement cent filtres ? Il tente de nous rassurer en nous disant que nous allons de ce pas rencontrer le maire afin que ce dernier nous fasse part de ses intentions. Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons dans une petite salle sombre de la mairie. Assis derrière son bureau, le maire, petit homme chétif proche de la quarantaine, nous écoute, le regard bienveillant. Nous lui parlons de Sail for Water et lui faisons une démonstration du filtre. A son tour, il prend la parole et nous explique que les écoles sont prioritaires et qu’une liste des personnes les plus pauvres du village existe. Les filtres seront répartis équitablement en fonction de celle-ci. Nous apprendrons ce jour là que l’aide sociale gouvernementale en Indonésie, du moins à Bali, est faîte de façon très précise, au cas par cas, et qu’il n’est pas envisageable de passer outre de telles procédures.

Ainsi, nous faisons le tour de plusieurs écoles et rencontrons quelqu’unes des personnes de la dite liste, ayant pu être présentes ce jour là. Nous confions le reste des filtres au maire qui s’engage personnellement à ce que tous les bénéficiaires reçoivent bien le leur. Il nous enverra, quelques semaines plus tard, des photos rassurantes, nous prouvant que les distributions avaient bien été réalisées.

A peine la mission effectuée et alors que nos amis sont arrivés seulement quelques jours plus tôt, il nous faut déjà commencer à préparer la longue traversée de l’Océan Indien. Révision du moteur, pleins de gasoil et de vivres, écriture d’articles et publication de la dernière vidéo. Le rush habituel de fin d’escale est lancé et nous nous préparons mentalement au long mois de mer qui nous attend. Comme partout où nous allons, les adieux sont difficiles mais l’espoir des retrouvailles nous console, en partie. Nous profitons de nos derniers jours tous ensemble, dans l’eau à surfer ou autour d’une bière bien fraiche, mais quelque part, nous sommes déjà ailleurs, sur l’océan probablement.