Papouasie à Bali, une affaire en duo

Le stop à Port Moresby, capitale de la Papouasie Nouvelle-Guinée, n’a rien de charmant, surtout après avoir passés une semaine au paradis dans les Louisades. Mais il est obligatoire car nous devons refaire nos pleins et raccommoder Williwaw qui a bien souffert sur ce long Pacifique. Au programme : changement de deux bas haubans, carénage de la coque (en restant à l’eau), révision du moteur, nettoyage des coussins du bord, remplissage des bouteilles de gaz et j’en passe. Heureusement la marina est bien située et on a rapidement accès à tout ce qu’il faut. Romain lui s’en va en terre Balinaise rejoindre sa douce et tendre et nous laisse prendre soin d’amener Williwaw à bon port trois semaines plus tard. Le petit stress des haubans est vite passé quand on rencontre la bonne personne qui nous les change en à peine 24h. Quant aux bouteilles de gaz, c’est Jacques, un français en tour du monde depuis 10 ans, qui a la solution. Ensemble on achète une grosse bouteille locale et un détendeur que l’on trafique pour pouvoir vider directement la grosse bouteille dans les nôtres. Le temps d’un apéro et le tour est joué.

C’est le 30 Septembre 2016, après une petite semaine de boulot que nous prenons la mer, pour la première fois en duo. Le temps s’annonce clément et on décide de faire des quarts de 6h. Cela peut paraître long mais c’est ce qu’il y a de mieux pour notre repos. Avec une sieste dans la journée, on arrive à avoir un bon sommeil.

Les premiers jours de navigation ne sont pas très intéressants, il n’y a pas de vent et nous devons faire du moteur pour aller en trouver aux abords du détroit de Torres. C’est là que l’aventure commence vraiment. Torres est un détroit d’environ 140 nautiques de long (260 km) qui sépare l’Australie au Sud de la Papouasie Nouvelle-Guinée au Nord. Il est parsemé de récifs et d’îles paradisiaques et des dizaines de cargos l’empruntent tous les jours pour relier l’Océan Pacifique et l’Océan Indien. Nous faisons notre entrée dans le chenal au matin de notre 3ème jour de mer. Nous croisons quelques géants des mers et les souvenirs de Gibraltar nous reviennent en mémoire. Il faut être vigilant. La journée est très belle, le vent souffle bien et les récifs nous protègent de la houle. Williwaw file à bonne allure sur cette eau turquoise. Les zigzags du chenal nous obligent à changer d’allure régulièrement. Du portant, au pré puis au travers avant de retourner au portant, on manoeuvre pas mal. Entre ces changements d’allure nous avons droit à quelques visites de nos amis les dauphins. On assiste même à un ballet orchestré par deux espèces différentes: des petits dauphins gris clairs et de plus imposants globicéphales au nez bien arrondis. Ils mesurent bien 3m de long mais ne semblent pas intimider les petits dauphins qui font la moitié de leur taille. Ensemble ils jouent dans la vague d’étrave de Williwaw et nous offrent un spectacle délicieux. Les îles défilent au cours de la journée et nous ne croisons que très peu de cargos finalement, 5 ou 6 tout au plus. La nuit arrive et le vent se met à forcer. Thomas qui a le premier quart reste concentré pour discerner les lumières fixes des bouées du chenal de celles mobiles des bateaux de passage. Le courant lui aussi forcit rapidement et vers minuit alors que le vent tombe presque complètement et que nous ne faisons que du 3 noeuds sur la surface, notre vitesse au GPS est de 9 noeuds ! Attention à ne pas manquer une porte car nous arriverons directement sur le récif sans pouvoir rien y faire. Il y a quelques lumières au Sud et nous distinguons clairement l’Australie. Quel dommage de ne pas s’y arrêter ! Nicolas prend le relais à 2h du matin pour la partie finale du détroit. Alors que nous sommes presque sortis, il envoie un appel VHF à un cargo qui nous rattrape. L’échange est cordial et il nous demande de bien vouloir nous mettre en bordure de chenal pour pouvoir nous dépasser sans encombre. C’est quand même sympa quand ça se passe comme ça.

L’arrivée dans la mer d’Arrafura, porte d’entrée de l’Océan Indien se fait sous spi aux premières lueurs de l’aube. Le levé de soleil, premier dans ce nouvel océan, est une merveille de couleurs.

Malheureusement les 3 premiers jours dans la mer d’Arrafura ne sont pas si idylliques que ça. Le vent est capricieux et la mer commence à se former. Il faut dire que dans sa partie Est cette mer ne fait que 15m de fond et que ça ne descend qu’à 100m 1500km plus à l’Ouest. Cette faible profondeur permet à la houle de se lever rapidement. Pendant la journée la chaleur est accablante. Le soleil brûle comme en plein désert et nous désespérons de trouver de l’ombre. La nuit les grains sont nombreux et nous ne laissent pas de répit. Les quarts sont fatigants et le manque de sommeil commence à se faire sentir. Après 3 jours de ce calvaire le vent revient enfin par l’arrière et nous prenons la configuration habituelle GV-génois tangonné en ciseaux. On avance super bien! Les empannages s’enchaînent pour garder le meilleur cap possible et nous devenons rapidement experts de la manoeuvre. Un simple coup d’oeil et nous sommes en accord sur ce qu’il faut faire. Le 8 Octobre la pétole nous rattrape. Nous ressortons le spi mais rien n’y fait, à 20h il faut rallumer le moteur. Mais si Eole nous fait défaut, ce n’est pas le cas de Neptune qui nous offre un magnifique wahoo, aussi appelé thazard rayé, d’une quizaine de kilos. La bête est trop grosse pour que nous la mangions à deux. Thomas en coupe deux beaux filets qui doivent faire 5kg ce qui est déjà bien assez. Nous décidons de remercier Neptune et de nourrir les requins avec le reste de la carcasse. Mieux vaut cela que de laisser pourrir le poisson dans notre frigo. Coup de chance, la viande du wahoo est extrêmement tendre et savoureuse, rien à voir avec le barracuda qui est très dense et sans goût. On va se régaler !

Les deux journées suivantes ne nous amènent guère de vent et nous devons faire pas mal de moteur pour avancer. La chaleur est toujours aussi intenable et pour la première fois nous allons regarder notre film du soir à l’extérieur dans le cockpit. C’est très agréable !

Force est de constater que nous avons utilisé beaucoup de gasoil. Aussi avec le peu de vent qu’annonce nos prévisions il sera compliqué d’aller jusqu’à Bali dans ces conditions. Du coup nous choisissons de faire escale à Kupang sur l’île du Timor pour faire notre entrée en Indonésie et refaire le plein de gasoil.

La dernière nuit avant notre arrivée n’est pas de tout repos. Pour rejoindre Kupang nous devons passer entre deux îles par un chenal qui fait 20 nautiques de long pour quelques centaines de mètres de large. On se dit que le chenal sera bien éclairé et que ce sera du gâteau… L’histoire en est tout autre. Thomas, comme à son habitude, prend le premier quart. Il est encore sous spi par une légère brise et négocie le cap pour arriver sur l’entrée du chenal. La lune est presque nouvelle est n’éclaire que très peu les alentours. Autant le dire c’est la nuit noire ! Quelques bateaux de pêche passent devant nous et il est très difficile de les voir. La vigilance est de mise. Le vent tombe alors et Thomas affale le spi avant de mettre le moteur. Tant mieux, on est plus manoeuvrant comme ça et l’entrée du chenal se rapproche de toute façon. Nicolas prend son quart à 2h alors que l’on entre dans le chenal. Jusque là on a croisé que peu de bateaux. Mais l’affaire vient se corser. Un flot immense de pêcheurs transite par ce chenal. Ils sont tous aussi mal éclairés les uns que les autres. Certains sifflent, d’autres klaxonnent, toujours au dernier moment. Il faut tenir la barre pendant en permanence pour se sortir de ce dédale. Finalement à 6h30 nous sommes devant le mouillage sans une égratignure. Le soleil se lève et nous dévoile les mystères de la nuit. Chaque barque de pêche compte une dizaine de marins à son bord. Telles des chars de carnaval elles sont colorées et défilent à la queue-leu-leu. Les marins sont autant de danseurs et de chanteurs qui rient en coeur à notre mine décontenancée. C’est dans cette ambiance folklorique que nous jetons l’ancre. La journée s’annonce joyeuse et surtout bien remplie. Tout d’abord il faut faire les formalités d’entrée: immigration, douane, quarantaine, bureau du port autant de paperasse qui ferait tourner la tête à n’importe qui. Et pour rendre la chose plus aisée, les bureaux sont disséminé à travers la ville. On remercie encore ce couple de navigateurs Allemand qui nous ont donné de bons conseils avant qu’on ne se lance la dedans. L’ambiance à terre est comme sur l’eau, la circulation est intense et seuls les asiatiques semblent pouvoir comprendre la chorégraphie qui se joue ici. Avec un bon taxi qui heureusement connaît la chanson on arrive à faire la tournée en moins de 4h. Un bon score ! En début d’après midi on reçoit la visite d’un jeune douanier de 21 ans. La fouille du bateau est plutôt relax et se termine autour d’une bière. Décidément les Indonésiens nous surprennent beaucoup. On décide alors de retourner à terre pour faire quelques emplettes et trouver un moyen de remplir nos bidons de gasoil. On se sent vraiment étranger dans le pays. Tout le monde nous regarde. Ici les gens n’ont pas l’habitude de voir des touristes. Les “blancs” sont une attraction et beaucoup de filles se retournent à notre passage. On leur sourit et elles répondent souvent d’un geste de la main ou d’un joli sourire. C’est assez agréable, on se sent les bienvenus. Sur la plage plusieurs personnes nous propose de l’aide pour tout et n’importe quoi et l’un d’eux nous conduit à Lambert. Lambert est un petit homme qui ressemble beaucoup aux papous. Sûrement parce qu’il mâche la bitternut en permanence et que ses dents ne sont qu’un vieux souvenir. Il lui manque une jambe aussi. Elle est passée dans une hélice lors d’un accident de pêche mais ses béquilles lui offre une belle stabilité même sur le sable de la plage. Lambert est l’homme de la situation pour refaire notre plein de gasoil. Ensemble on décide du prix à payer et nous faisons rapidement un aller retour pour aller chercher nos bidons. Il ira à la pompe les remplir et nous les ramènera sur le bateau demain matin. Voilà une affaire qui roule !

Satisfaits d’avoir résolu le problème du gasoil on se donne un peu de temps pour déambuler en ville et acheter quelques souvenirs. Au coin de deux ruelles on tombe sur un marchand de couteaux. Son étalage est impressionnant, il y a des centaines de couteaux et même quelques épées. Tous sont sculptés dans le bois et les lames sont gravées et bien graissées. On commence à demander le prix en anglais mais le marchand ne nous comprend pas. Alors débute une négociation en langue des signes qui est assez caucasse. L’expression du visage est très importante. Il faut montrer sa fermeté tout en restant ouvert à de nouvelles offres. On utilise nos doigts pour compter et faire des signes de oui ou de non. Finalement, une poignée de mains bien ferme vient sceller l’accord une fois que tout le monde est content. Comme quoi, tout le monde peut se comprendre !

Le lendemain matin, Lambert est au rendez vous et nous apporte 250L de gasoil. Avec lui aussi l’anglais est compliqué mais on trouvera encore un terrain d’entente en écoutant du Bob Marley tout en débarquant les bidons. On le remercie avec un beau pourboire et un bout qui pourra remplacer son amarre déjà bien rongée. Lambert s’en va heureux comme un papou qui a fait bonne affaire et nous on s’apprête à lever l’ancre direction Bali.

4 jours de mer sont devant nous pendant lesquels rien de bien intéressant ne se passe. La mer est calme, le vent aussi. On utilise encore beaucoup le moteur. On se prépare quand même pour l’arrivée qui s’annonce un poil compliquée. Je m’explique. A l’Est de Bali se trouve l’île de Lombok et entre les deux un chenal relie la Mer de Java au Nord et l’Océan Indien au Sud. Les courants y sont très forts. Dans un sens ou dans l’autre selon la marée. Au milieu il y a même La petite île de Nusa-Penida qui vient semer le trouble et provoque de grands remous dans ce courant déjà intense. En arrivant par l’Est nous devons traverser tout ça pour atteindre Bali et la tâche ne s’annonce pas aisée. Pour couronner le tout on fera notre passage de nuit bien-sûr. Nicolas a le premier quart qui se passe sans encombre. Pour le moment le courant n’est pas très fort. Ça se corse quand on arrive au Sud de Nusa-Penida et que Thomas prend le quart. La mer change de teinte, des remous se forment comme dans un torrent et le courant commence à nous prendre. Heureusement qu’il est avec nous car nous faisons du 10 noeuds sur le fond. Dans l’autre sens nous aurions sans doute reculé. Mais bien vite l’état de la mer change encore. Elle devient lisse comme un miroir alors que 500m devant on voit une longue houle se lever et quelques moutons viennent blanchir sa crête. Le courant nous prend maintenant par le travers et il faut changer le cap du pilote d’une bonne trentaine de degré pour tenir notre cap réel. On finit par deux heures de contre courant alors que le soleil pointe le bout de son nez et que l’on aperçoit enfin la belle île de Bali. Encore une matinée à se battre et nous sommes délivrés de ces courants.

L’arrivée au port de Benoa nous fait découvrir un nouveau monde. C’est une véritable fourmilière autour de nous. Il y a,à tribord, en bord de chenal, une grosse barge de dragage, à bâbord une horde de hors bord lève des touristes dans les airs avec leurs parachutes ascensionnels, d’autres trainent des bouées en forme de banane où une dizaine de blancs crie à s’époumoner. Entre eux des jets skis passent comme des chauffards lancés à pleine vitesse. Ils slaloment entre les ordures qui flottent à la surface et rendent cette scène encore plus absurde qu’elle ne l’est déjà. Nous naviguons au milieu de tout cela comme des visiteurs venus d’ailleurs. Les appels que nous faisons à la radio pour informer la marina de notre arrivée restent sans réponse. Nous entrons donc dans le port avec l’espoir de trouver une place où s’abriter de toute cette cohue. Heureusement les quais ne sont pas pleins et nous pouvons trouver une place sans encombre. Tout de suite deux employés de la marina s’empressent d’attraper nos amarres et de nous souhaiter la bienvenue. Nous remplissons vite les formalités d’entrée et les Balinais nous donnent plein de conseils et de contacts pour tout ce dont nous avons besoin. Finalement leur cordialité rattrape l’aspect dégradé du lieu et l’on se sent vite à l’aise avec ces gens très serviables. 2 jours plus tard nous retrouvons Romain et Maroussia autour d’un bon cocktail. Les retrouvailles sont chaleureuses et on ne manque pas d’histoires à se raconter.